"Humaniser" les accouchements et leurs douleurs. Risquer l'incertain et expérimenter des maisons de naissance (France, Québec)
Soutenance de thèse de doctorat en sociologie de Maud Arnal
29 juin 2022
Jury
Ilana Löwy, directrice de recherche Inserm émérite, Cermes3 (directrice de thèse)
Marc Bessin, directeur de recherche CNRS, Iris(co-directeur de thèse)
Patrick Castel, directeur de recherche CNRS, CSO (rapporteur)
Pierre-Marie David, professeur de sociologie Université de Montréal (rapporteur)
Anne Paillet, professeure de sociologie Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, CESSP
Geneviève Pruvost, chargée de recherche CNRS, CEMS
Résumé
Au regard de la France, le Québec fait figure d’une « modernité » périnatale pour son expérimentation des maisons de naissance dès le milieu des années 1990. À partir d’une perspective comparative franco-québécoise, cette thèse analyse les transformations des normes médicales et sociales qui encadrent les accouchements ordinaires et leurs douleurs. Depuis la fin des années 1970, le soulagement des douleurs des femmes en couches fait l’objet d’un traitement médical généralisé, circonscrit à l’anesthésie péridurale. Au cours des années 2000, le gouvernement français légalise l’expérimentation de maisons de naissance où la péridurale n’est plus disponible. Ces restructurations sanitaires ouvrent à une diversité de prise en charge des douleurs des parturientes située entre deux extrêmes. D’un côté, la péridurale est utilisée en routine dans les maternités hospitalières dites à « haut niveau de risque » médical. De l’autre, elle devient inexistante dans les maisons de naissance dédiées aux accouchements ordinaires, à « faible risque » médical. Comment comprendre l’émergence contemporaine d’un retour à des accouchements sans péridurale dans un contexte médical, social et politique d’antidolorisme généralisé ? Comment le soulagement des douleurs se négocie-t-il dans ces différents lieux de naissance ? Cette recherche s’appuie sur une ethnographie de deux hôpitaux publics et deux maisons de naissance en France et au Québec. Une centaine d’entretiens semi-directifs avec des professionnel·le·s de santé et des femmes complète l’étude. Plutôt que de traiter les contextes français et québécois de manière symétrique, il s’agit de mobiliser le Québec comme contrepoint à l’analyse de la situation française. Dans cette perspective, la thèse montre que les différents modes de soulagement des douleurs d’accouchements contribuent à la persistance de modèles de soin concurrents. La valorisation des compétences des femmes en maison de naissance repose sur un naturalisme biologique. À l’hôpital, c’est l’inutilité de ces douleurs potentiellement « dangereuses » qui prime entre risques et « humanisation » des soins. En fonction de normes institutionnelles propres à chaque lieu de naissance, l’usage ou le non-usage de la péridurale vient réguler les corps et les affects. L’organisation du travail entre professionnel·le·s de santé et parturientes s’en trouve également modifiée. Quels que soient les lieux d’accouchements, le soulagement des douleurs des femmes est alternativement employé comme un outil d’émancipation et de normalisation des rapports sociaux de sexe, de classe et de race. Il repose sur un régime de vérité où l’incertitude des risques et la production d’ignorances demeurent au principe. Cette production d’ignorances et d’incertitudes a une série de conséquences sociales. Elle interroge le statut des douleurs des femmes au sein des inégalités sociales de santé, dévoilant les risques d’exacerbation d’une stratification sociale diffuse de l’accès des femmes aux ressources des systèmes de santé périnataux français et québécois.
Mots-clés
Accouchement ; Douleur ; Santé ; Genre ; Risque ; Incertitude ; Accouchement -- Sociologie -- France ; Accouchement -- Sociologie -- Québec (Canada) ; Douleur obstétricale ; Maisons de naissance -- Sociologie -- France ; Maisons de naissance -- Sociologie -- Québec (Canada) ; Risque -- Sociologie