Anne M Lovell
Anthropologue, directrice de recherche émérite Inserm
Contact : annemlovell(at)gmail.com
Présentation
Mon travail se situe, au sein de l'anthropologie sociale, à l'intersection entre anthropologie médicale et anthropologie de la science. Je m'intéresse plus précisément à la façon dont la maladie, la santé et les conceptions du "mental" sont façonnées, par un complexe impliquant la culture, les systèmes de parenté et les questions économiques. Ma réflexion sur la manière dont un savoir émerge en psychiatrie et dans les disciplines connexes s'appuie sur la formation complémentaire que j'ai suivie en épidémiologie psychiatrique. Il s'agit pour moi de comprendre le fonctionnement des concepts, des logiques mises en œuvre et des moyens mobilisés pour construire le savoir au sein des mondes sociaux des savants dans le champ de la psychiatrie.
Mes premiers travaux, situés à New York, portaient sur des personnes vivant dans la rue et atteintes de troubles psychiques, qu'elles soient prises en charge ou non. J'ai montré comment leurs récits, leurs réseaux sociaux, leur rapport au temps et l'interstitialité des espaces où ils évoluent contribuent à façonner leur vie et leurs perspectives. A travers l'ethnographie de programmes novateurs, centrés sur le patient, destinés aux personnes étiquetées comme souffrant de maladies mentales, j'ai mis en évidence les paradoxes que des pratiques d'empowerment donnant la priorité au choix individuel pouvaient rencontrer face aux logiques de community, qu'elle soit d'usagers ou plus extensive, et aux différentes administrations, du niveau étatiques jusqu'au niveau le plus local (street-level bureaucracy).
Je me suis ensuite efforcée d'appliquer ma réflexion en termes de réseaux sociaux aux usages de drogues par voie intraveineuse à Marseille, en examinant la relation qu'il y a entre la prise de risque et les différentes formes de capital des usagers, avant d'étudier la circulation transnationale des usagers de drogue, en lien avec des différences de positionnement moral d'un pays à l'autre sur le traitement de la toxicomanie. En suivant le passage d'un nouveau traitement de substitution aux opiacés – la buprénorphine (le Subutex®, en France) – du cadre médical vers les quartiers de Marseille dans ce que j'ai appelé un "fuitage pharmaceutique" (pharmaceutical leakage), j'ai pu retracer la place de ce médicament au sein d'une histoire plus vaste et globalisée de la recherche sur la toxicomanie.
Je m'intéresse à présent au dialogue entre philosophie et anthropologie, qui sous-tend mes publications récentes ainsi qu'un ouvrage en cours sur le care, les troubles psychiatriques préexistants et la temporalité des catastrophes. Ce travail s'appuie sur quatre ans d'ethnographie sur l'après-Katrina aux Etats-Unis.
Je travaille actuellement sur les déplacements à l'intérieur des discours psychiatriques sur la santé mentale et la maladie au Sénégal au cours du dernier demi-siècle, sur les façons dont ils se superposent aux relations coloniales et post-coloniales entre le Sénégal, la France et plus généralement les pays dits du Nord, ainsi que sur la manière dont les approches locales, non biomédicales, des troubles mentaux affectent la construction du savoir à l'intérieur de l'épidémiologie psychiatrique et de la psychiatrie critique.
Je continue de participer, dans une perspective de santé publique critique, à des programmes appliqués, concernant par exemple le traitement des personnes sans domicile, le développement de la santé publique locale en France, ou la représentation des usagers et la démocratie sanitaire.