Un aliment alternatif contre la malnutrition au Brésil. Entre sciences, communautés, Eglise et politique : le cas du multimélange
Soutenance de thèse de doctorat en sciences techniques et société de Tatiana Feitoza Vianna da Silveira
19 novembre 2021, 14h
EHESS, salle A07_37, 54 boulevard Raspail, 75006 Paris
Jury
Boris Hauray, chargé de recherche Inserm
Ilana Löwy, directrice de recherche Inserm
Jean-Paul Gaudillière, directeur de recherche Inserm et directeur d’études EHESS
Jean-Pierre Poulain, Université Toulouse 2 Jean Jaurès, ISTHIA (rapporteur)
Maria Andréa Loyola, professeur IMS - Université́ de l’Etat de Rio de Janeiro (co-directrice de thèse)
Maurice Cassier, directeur de recherche CNRS (directeur de thèse)
Paulo Henrique Almeida Rodrigues, professeure IMS - Université́ de l’Etat de Rio de Janeiro (rapporteur)
Tristan Fournier, chargé de recherche CNRS
Résumé
Au milieu des années 1970, dans la région de l’estuaire de l’Amazonie brésilienne, un complément alimentaire en poudre voit le jour et connaît un grand succès, sauvant la vie des enfants pauvres malnutris. L’originalité de ce produit appelé Multimistura (multimélange) réside dans le fait que l’on peut le produire chez soi, avec les moyens du bord, et des aliments normalement jetés, comme le son de riz et de blé, des feuilles de manioc, des coquilles d’œufs, des semences de citrouilles, etc. Son succès attire l’attention d’institutions comme l’UNICEF et l’Église catholique, représentée par la Pastorale de l’enfant. Cette dernière, très influente et jouissant de relations politiques puissantes, parvient, par le biais de milliers de femmes bénévoles, à diffuser le multimélange dans des communautés en difficulté dans l’ensemble du Brésil. Considéré par certains comme un produit miraculeux, le multimélange sera recommandé par le ministère de la Santé comme une solution au problème de la malnutrition infantile et son adoption dans les menus des écoles publiques du pays sera étudiée. La campagne du multimélange a également reposé sur les initiatives de plusieurs organisations qui ont participé à son rayonnement et influence. Son utilisation dans les jardins d’enfants et les hôpitaux, dans l’ensemble du pays, a bénéficié du soutien financier et logistique d’institutions étatiques, d’entreprises que l’on qualifierait aujourd’hui de l’économie sociale et solidaire, de coopératives, d’ONG, d’organisations communautaires, de professionnels liés à l’agriculture de base, entre autres. Toutefois, en dépit de son succès grandissant, le produit connaît à partir du début des années 1990 une contestation progressive sur un plan à la fois scientifique et économique. Une partie du milieu académique se consacre à disqualifier le produit et d’autres compléments alimentaires, produits par les grandes entreprises du secteur agroalimentaire, se positionnent comme ses concurrents. Cette double contestation a des conséquences importantes : en 1994, la Pastorale de l’enfant, son plus grand allié, abandonne officiellement l’utilisation du multimélange. Nous aurions alors pu croire à la fin du produit, mais il n’en sera rien. En fait, le produit se maintient, au sein même de la Pastorale de l’enfant, par la volonté de ses membres ou des communautés affiliées. Par ailleurs, le multimélange est passé par un processus de transformation, et coexiste entre le monde de la misère et les magasins de produits biologiques bobo-chic, situés au cœur des quartiers aisés des grandes métropoles brésiliennes. Ce travail de thèse montre que le multimélange représente une technologie sociale et illustre la transformation d’une solution nutritionnelle en un support d’action sociale et de santé publique. Cette campagne incarne aussi une politique de santé qui présente les contours d’une politique de développement, à la fois collective et décentralisée ; elle affirme sa capacité de reproduction et surtout de résistance, ainsi que la plasticité des mélanges qui peuvent devenir une marchandise recherchée par des consommateurs à hauts revenus.
Mots clés
Multimistura, alimentation alternative, technologie sociale, santé communautaire, pastorale de l’enfant, Brésil